lundi 14 novembre 2011

Mamadou Cissokho, messager des paysans africains


par Pierre Jacquet, chef économiste de l'Agence française de développement

Quiconque a participé à des rencontres sur le développement rural en Afrique a probablement croisé Mamadou Cissokho, le charismatique fondateur et président d'honneur du Réseau des organisations paysannes et des producteurs agricoles de l'Afrique de l'Ouest (ROPPA), haut en couleur, éloquent et passionné.

Né en 1946 au Sénégal, M. Cissokho est d'abord instituteur dans un petit village du Mali, avant de revenir en 1974 à son exploitation familiale à Bamba Thialène et de s'engager dans le combat associatif puis syndical paysan.
L'une de ses forces est qu'il a su prendre d'importantes responsabilités puis passerla main, gage essentiel de pérennité organisationnelle. Peu de leaders ont ainsi la sagesse de dépersonnaliser leur combat !
"L'APPROPRIATION"
Deux messages de son discours revendicatif résonnent particulièrement dans le contexte actuel. Le premier est ce qu'il est convenu d'appeler "l'appropriation" : les pays en développement, estime-t-il, doivent choisir leurs propres trajectoires et politiques.
Les architectes de l'aide au développement ont pris conscience de cet impératif, qui figure dans les cinq principes de la déclaration de Paris de 2005 sur l'efficacité de l'aide. Mais cette prise de conscience ne s'est pour l'instant guère traduite par une compréhension suffisante de ses implications.
Dans son essai, Dieu n'est pas un paysan (édition Présence africaine, 2009), M. Cissokho y revient à plusieurs reprises. Il écrit par exemple : "Nous avons perdu des ressources essentielles : nos capacités de réflexion et d'analyse, parce que nos élites (...) ont, sans réfléchir, trouvé, en comparant les aspects visibles du développement, que nous étions "en retard". Mais en retard par rapport à quoi ? Ceci n'a jamais été discuté."
Qui, en effet, fixe la norme ? Cette observation rappelle que ce n'est ni aux bailleurs de fonds ni aux seules élites locales de fixer les objectifs du développement local, fût-ce en croyant bien faire : il faut se donner le temps et les moyens de la concertation nécessaire avec les principaux intéressés, et en accepter les résultats.
Le second message rappelle le rôle essentiel des politiques agricoles et invite àfonder le développement économique des pays pauvres sur l'agriculture et le monde rural, trop souvent négligés.
Quittant ses fonctions d'instituteur, M. Cissokho tirait même le constat que "l'école éloigne de la terre" en oubliant l'importance de l'agriculture. Le rapport de la Banque mondiale sur le développement en 2008, les crises alimentaires récentes et les priorités de la présidence française du G20 ont rétabli l'importance de la sécurité alimentaire et d'un développement agricole durable.
MUTATION
Mais la modernisation agricole ne se décrète pas ni ne se résume à l'acquisition de machines et de nouvelles méthodes financées par l'aide occidentale : ce sont les paysans dans leurs exploitations familiales qui la mettent en oeuvre.
M. Cissokho accompagne la mutation du paysan africain en agriculteur entrepreneur et en citoyen, dont l'influence locale, nationale et internationale grandit. C'est sur lui et sur les exploitations familiales qu'il faut s'appuyer.
Autrement dit, cessons d'agir "pour développer" les paysans, agissons avec eux.
Voilà l'agenda de développement agricole, exigeant et prometteur, qu'il a contribué à formuler et qui devrait fonder les politiques agricoles et alimentaires des prochaines décennies.