lundi 15 août 2011

Le sucre ne manque pas de sel


C’est la crise. L’euro menace de se casser la figure. L’Oncle Sam est au bord de la faillite. Plutôt que de vous précipiter sur l’or, c’est le moment d’acheter du sucre ! À la rentrée les cours vont s’envoler. Les experts ont sorti leur calculette : il coutera jusqu’à 40 % plus cher.

La faute au Indiens et aux Chinois, qui raffolent de la malbouffe. Or, pour rendre goûteux ses plats industriels bourrés de mauvais gras, l’agroalimentaire les farcit de sucre. Un esquimau, c’est 6 morceaux de sucre pour 20 grammes de beurre. Idem pour les sodas – comptez pour une cannette l’équivalent de 8 morceaux de sucre. Et puis, ce qu’il y a de bien avec le sucre, c’est que plus on en mange, plus on aime ça.

Une équipe de chercheurs du CNRS de Bordeaux avait démontré dès 2007, grâce à des rats, que le sucre pouvait rendre plus accro que la cocaïne. Les pauvres bêtes qui avaient goûté aux deux substances à haute dose pendant trois semaines ont opté, quand il a fallu choisir, à 94 % pour la boisson sucrée plutôt que pour la cocaïne en intraveineuse. Même résultat en remplaçant la cocaïne par de l’héroïne.

Plus récemment, des scientifiques américains de la prestigieuse université de Princeton ont découvert que des rats qu’on cessait brutalement de gaver de sucre souffraient d’un méchant syndrome de sevrage, avec bouffées de stress, anxiété et chute dans le cerveau de la dopamine, l’hormone qui nous fait voir la vie en rose. Bref, notre cerveau se fiche bien de savoir que l’excès de sucre participe à l’épidémie de diabète sucré, ou encore que c’est un fertilisant pour les cellules cancéreuses. On peut aussi compter sur le lobby du sucre pour empêcher qu’on dénigre la poudre blanche.

Le Cedus, le Centre d’Études et de Documentation du Sucre, a créé un outil pour surveiller ce qui se dit sur le sucre sur Internet. La moindre critique est détectée, décortiquée et démentie, si nécessaire, par une réponse. Dans sa revue « Grain de sucre » (N° 24), le Cedus s’enthousiasme de l’efficacité du système. Et de citer le cas de cet internaute qui a avoué, sur un site, « faire une addiction au sucre ». Ni une ni deux, le Cedus a posté un message pour expliquer sans rire que « l’addiction au sucre n’a jamais été mise en évidence chez l’homme  ». C’est ce qui s’appelle sucrer l’info ?
Le Canard Enchaîné N° 4737 du 10 août 2011