dimanche 28 août 2011

La viande de synthèse

25/08 | 07:00 | mis à jour à 12:19 | Chantale Houzelle
Pourra-t-on un jour produire de la viande sans animaux ? Le concept alimente bien des controverses, mais relève encore de la science-fiction.

Fera-t-on un jour griller un bifteck sans boeuf sur son barbecue ? Rassurez-vous, ce n'est pas demain la veille que l'on vous servira de la viande de synthèse. Même si, sous prétexte de nourrir la population en pleine croissance des pays émergents, cette idée utopique est bel et bien en marche. Depuis une quinzaine d'années, la viande artificielle alimente pas mal de programmes de recherches menés assez discrètement dans le monde, notamment aux Etats-Unis, en Norvège ou aux Pays-Bas, où les travaux scientifiques seraient les plus avancés.
En France, le verdict d'un expert de l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) est sans équivoque : « C'est irréaliste et non pertinent d'un point de vue économique et social », estime Jean-François Hocquette, directeur de l'unité de recherches sur les herbivores de l'Inra, à Clermont-Ferrand. «  Nous menons évidemment des recherches sur les cultures de cellules, mais uniquement à des fins médicales, pas pour la production de viande in vitro, assure-t-il. Nous sommes capables de cultiver des cellules de muscle, et seulement à petite échelle, mais pas du muscle entier et encore moins de la viande.  »

Rejet des consommateurs

Le couperet tombe aussi tranchant du côté de l'Académie de la viande : « L'hypothèse d'une production in vitro, comestible et commercialisable à une échéance prévisible, ne résiste pas à l'examen », estime son président, François Landrieu. « On peut néanmoins poursuivre les recherches en intégrant les éléments de connaissance, notamment génétiques, qui progressent très vite. Mais, à l'heure actuelle, aucun élément ne plaide vraiment pour un résultat exploitable. »
Et même si les chercheurs réussissaient un jour à en mettre au point la bonne « recette », la viande synthétique serait difficile à faire avaler aux consommateurs. « On voit déjà le rejet à l'encontre des animaux transgéniques, pourtant bien inoffensifs, et même des animaux clonés. Dans ce contexte, il n'est absolument pas possible d'envisager une production de viande artificielle à destination de l'alimentation humaine », insiste François Landrieu, qui ne veut pas accréditer la thèse que « la viande sans animaux » constitue une hypothèse viable pour la production alimentaire.
D'un point de vue technique, les scientifiques ne maîtrisent que l'étape préliminaire, à savoir la mise en culture de cellules musculaires de mammifères tels que les bovins, le porc ou la volaille. Cette technique consiste à incuber des cellules animales à 37 °C sous atmosphère gazeuse contrôlée, dans un milieu contenant tous les éléments (acides aminés, minéraux, hormones...) nécessaires à la vie cellulaire. Ces cellules musculaires, que l'on appelle myoblastes, se multiplient, puis entrent en contact les unes avec les autres pour fus ionner sous la forme de myotubes, qui se transforment ensuite en fibres musculaires. A titre de comparaison, le même processus est à la base de la régénération musculaire qui se produit in vivo, par exemple chez l'homme en cas de lésion du muscle.

Une structure en 3D

Problème : en l'état actuel du savoir-faire, la culture de cellules in vitro ne permet d'obtenir qu'une couche fine et bien peu appétissante. Impossible de reconstituer ainsi un tissu musculaire fonctionnel. Car le muscle résulte d'un assemblage de différentes populations cellulaires (myoblastes) qui sont associées à des fibroblastes, des cellules adipeuses, des vaisseaux sanguins et des cellules nerveuses qui interagissent les uns avec les autres. «  Nous ne savons pas cultiver toutes ces populations de cellules ensemble, et surtout pas avec un bon rendement dans une architecture en trois dimensions qui reproduit la tension des muscles fixés sur une carcasse. L'une des difficultés majeures est de reproduire la finesse de l'irrigation sanguine, qui apporterait les nutriments et les facteurs de croissance nécessaires aux cellules en mimant l'irrégularité des pulsations cardiaques », explique le docteur Jean-François Hocquette.
Sans parler de la saveur inimitable d'une côte de boeuf tendre et grillée à point, dont l'arôme, si apprécié des fins gourmets, est lié à la teneur en lipides. Les scientifiques ne sont pas près de savoir restituer ces plaisirs olfactif et gustatif. Au grand dam de l'association américaine de défense des animaux Peta, qui va jusqu'à offrir une prime de 1 million de dollars pour accélérer les recherches (lire ci-contre), la viande de synthèse risque fort de finir au rayon des pures utopies alimentaires.

1 million de dollars de prime

25/08 | 07:00 | Chantale Houzelle
Pour accélérer les recherches sur la viande artificielle, l'association américaine Peta (« People for the Ethical Treatment of Animals »), qui milite depuis trente ans pour la défense des animaux, offre une prime d'un million de dollars au premier scientifique qui sera capable de faire aboutir la production de la viande de synthèse. Ce montant équivaut à un dollar versé pour chaque poulet tué chaque heure aux Etats-Unis. «Nous ne nous attendons pas à ce que le monde devienne végétarien du jour au lendemain, mais la viande de synthèse peut permettre de manger éthiquement sans se priver de viande, soutient Isabelle Goetz, chargée de campagne de Peta France & Europe. La production de viande in vitro cultiverait les tissus musculaires sans os ni chair, et sans avoir recours aux ressources en énergie nécessaires à l'élevage d'un animal . »