lundi 1 août 2011

« Jeûner, c’est être en paix »

Par: Aziz Oguz

«On ne dit pas faire le ramadan. Le ramadan est un mois du calendrier lunaire islamique, rectifie immédiatement Ghaleb Bencheikh. On fait le jeûne». Le physicien et théologien est rigoureux avec le sens des mots. Dans cet entretien, le Franco-algérien, également présentateur d’une émission dominicale sur France 2, fustige ceux qui se focalisent sur la forme du jeûne et oublient son «essence» fondamentale : la recherche d’une paix intérieure. Le jeûne, l’un des cinq piliers de l’islam, débute le 1er août en France.
Quel est le sens profond du Jeûne du mois de Ramadan ?
Trois dimensions se dégagent. D’abord, le jeûne est une école de vie et de maîtrise de soi qui permet un temps de cultiver la patience et l’endurance. Une période où le croyant jugule ses passions, régule ses désirs et maîtrise ses pulsions et ses mauvais penchants. Et quand le croyant est capable de se retenir devant le licite et le légitime (la faim, la soif, etc.), il est capable de se retenir devant l’illicite et l’illégitime.

Ensuite le jeûne du ramadan englobe une dimension de solidarité et de partage. Cette idée est omniprésente. C’est un moment de partage avec la famille, les amis et aussi les indigents. En principe, ce que le fidèle ne mange pas le jour, il doit le donner aux plus pauvres.

Enfin, la dimension centrale, la plus recherchée est la dimension de miséricorde, de pardon et de réconciliation. Le croyant assainit son cœur de toutes ses rancœurs. Il purifie son âme de l’animosité de l’infâme. La fatigue physique se transforme en paix et légèreté intérieure. Il ne peut pas jeûner et nourrir des intentions belliqueuses contre autrui. Il ne peut pas jeûner et comploter. Et conformément à un hadith (ndlr, un précepte) du prophète : «Si on te cherche noise pendant que tu jeûnes, réponds «paix, je suis jeûneur». Jeûner, c’est être en paix. C’est la recherche de cette fameuse quiétude intérieure, l'ataraxie (ndlr, l’absence de trouble) auraient dit les Grecs. Par le jeûne, le croyant s’élève spirituellement.

Pourtant on a l’impression aujourd’hui que la forme tient une place plus importante que le sens spirituel que vous avez énoncé…
Je ne tiens pas à tenir un discours imprécatoire. Mais malheureusement, certains imams, au lieu d’incliner et d’insister sur la dimension spirituelle du jeûne, se concentrent sur : «tu ne te maquilles pas, tu ne te parfumes pas, tu ne te brosses pas les dents, etc.» En définitive, «tu ne fais pas ceci, tu fais cela». C’est une approche superficielle qui oublie absolument l’essence du jeûne. A la fin, les jeûneurs ne gagnent que la faim et la soif. Je le déplore. Nous devons tous travailler pour changer cette tendance. J’adresse un message aux officiants, aux imams, à tous ceux qui ont une parole publique : ils doivent davantage axer leur enseignement sur l’aspect de miséricorde, d’entraide, de bonté et d’amour de ce pilier de l’islam.

Mais d’où vient cette obsession ?
Quand on n’a pas une connaissance approfondie des préceptes religieux, on s’attarde davantage sur la forme que sur le fond. Certaines pratiques radicales laissent davantage place au dogmatisme dans lequel tout est plus facile. Il suffirait d’appliquer au pied de la lettre tel précepte pour être un bon musulman. Cette approche du jeûne est fausse. Il faut au contraire laisser place à la réflexion. Le croyant doit être en relation avec Dieu. Cette obsession permet aussi de s’appréhender, de se distinguer et de se reconnaître le temps d’un mois de ferveur religieuse dans la communauté des croyants, la Oumma. Ce qui rassure certains jeûneurs en ces temps de crispation et de repli. Ce sont des âmes encore fragiles et jeunes, en quête de reconnaissance, qui se réfugient dans le réconfort et la simplicité de la forme.

Dans un climat hostile à l’islam en France, où des polémiques se succèdent (burqa, voile, minaret, viande hallal, etc.), comment un croyant peut pratiquer le jeûne sereinement ?
Il y a une islamophobie ambiante dans la société. Mais c’est plus qu’une peur. Etymologiquement, islamophobie veut dire peur de l’islam, peur irraisonnée et pathologique. Auquel cas il faudrait rechercher une thérapie. En réalité, si vous me pardonnez le néologisme, il s’agit d’une «miso-islamie», c’est-à-dire une haine de l’islam, comme on peut parler de misogynie ou de misanthropie. Cette haine déclarée, cette hostilité affichée contre l’islam et les musulmans est explicable mais inacceptable.

Elle est due en partie aux comportements des musulmans. Si des musulmans n’ont pas de lieu de prière, ils doivent prier chez eux et non dans les rues. Il ne faut pas compromettre la scolarité de deux fillettes en les emmitouflant dans un foulard [référence à l’affaire du collège de Creil en 1989 où deux jeunes filles voilées ont été exclues] alors que les injonctions du savoir sont infiniment plus nombreuses et impérieuses dans le Coran. Un travail doit être accompli au sein des musulmans de France. Et leurs responsables ont failli.

Il y a aussi une focalisation médiatique sur le pervers, le négatif et le maladif. Les médias ont passé en boucle, jusqu’à la nausée, l’histoire du polygame de Nantes et de ses quatre concubines. Et ils n’ont pas informé du décès de Mohamed Arkoun [historien, islamologue et philosophe progressiste, mort en septembre 2010]. Cette ambiance délétère, aggravée par certains politiciens, fait en sorte que la pratique cultuelle islamique ne se fait pas dans des conditions sereines. Mais les musulmans doivent assumer leur religion avec intelligence. Pour vivre, en dépit de toutes les épreuves, qui sont souvent salvatrices, sereinement avec dignité et sans crispation dans la société française.

Source: http://www.respectmag.com/2011/07/28/«jeuner-c’est-etre-en-paix»-5375