mercredi 27 avril 2011

Compétition économique : vers les agro-guerres de demain ?

Hold-up des terres agricoles pour certains, véritable opportunité de développement pour les autres, l’achat des terres arables divise experts, politiques et autres responsables associatifs. Mais qu’en est-il réellement sur le terrain ?
Par Mounia Ben Aïssa
L'accaparement des terres arables s'est accéléré depuis quelques années, aux dépens parfois des paysans locaux. Une ruée qui se transforme en guerre entre les investisseurs pour l'acquisition des meilleures terres agricoles.

Des investisseurs en tous genres


Devenues la cible de toutes les convoitises, les grandes étendues fertiles sont dans le collimateur des multinationales et autres fonds d’investissements. On se souvient de la malheureuse aventure de Daewoo à Madagascar. La multinationale Sud-Coréenne s’était vue promettre 1,3 millions d’hectares (plus de la moitié des terres agricoles malgaches…), pour une durée de 99 ans, en échange de la création d’emplois et d’infrastructures. Une décision qui avait embrasé le pays et entraîné le renversement du président Ravalomanana. 

La Chine fait figure de leader dans l’accaparement des terres arables. Parmi les pays qui investissent le plus, on compte entre autres l’Arabie Saoudite, l’Afrique du Sud ou encore les Emirats Arabes Unis, tous en manque de terres agricoles pour nourrir leurs propres populations. Très dépendants de l’importation alimentaire, ils ont décidé d’investir directement dans l’achat de terres pour se prémunir contre la hausse du prix des denrées alimentaires et garantir leur sécurité alimentaire. 


A Ajouter à la longue liste des investisseurs, certains particuliers qui veulent aussi leur part du gâteau. A l’image de Charles Beigbeder, devenu l’heureux propriétaire de 22 000 hectares de terres en Ukraine. En temps de crise des actions, la terre redevient une valeur sûre des marchés, un refuge pour qui veut investir sans prendre trop de risques.


Aucun continent épargné


On estime qu’en 2008, environ 10 millions d’hectares ont été cédés, principalement en Afrique et en Amérique du Sud. L’Asie, l’Europe de l’Est et l’Australie sont tout aussi concernées par ces transactions. Le Pakistan, l’Indonésie, l’Ukraine, ou encore la Roumanie sont les nouveaux greniers à céréales. Un phénomène qui s’accélère chaque année, en nombre de « deals » conclus mais aussi en proportion de surfaces cédées.

Comme l’explique Jeanne Zoundjihékpon, militante à l’ONG internationale GRAIN en Afrique francophone, l’accaparement des terres arables a de nombreuses conséquences néfastes sur les populations. « La terre est à la base de la vie sociale en Afrique. Si les paysans vendent leur terre, ce sont toutes les valeurs traditionnelles qui se perdent, tout le tissu social qui se déchire. Mais pas seulement, la sécurité alimentaire est aussi menacée. Les petits paysans dépendront de ce que les nouveaux exploitants produiront et des prix qui leur seront imposés. Les denrées alimentaires seront d’autant plus chères si la production agricole est destinée à la fabrication de biocarburants. Enfin, les monocultures pratiquées sur des surfaces importantes mettent directement en danger la biodiversité locale».


Un néocolonialisme agraire ?


Au Bénin, comme dans d’autres pays en Afrique, les transactions sont arrangées par des intermédiaires locaux. Ces « négociants » ont plus de facilité d’approcher les petits paysans, moins méfiants à l’égard des personnes de leur communauté. Rumeurs d’expropriation par l’Etat ou promesse de développement économique, ces « frères » ne manquent pas d’imagination pour convaincre les paysans de vendre leur parcelle. Des pratiques dénoncées par Nestor Mahinou, secrétaire exécutif de Synergie paysanne (syndicat paysan du Bénin). « Les paysans sont trompés par les mensonges de ces démarcheurs. Lorsque la vente est conclue, ils se retrouvent sans travail car les nouveaux exploitants ne les emploient pas. Ils sont alors obligés de quitter leur village pour aller chercher du travail en ville ».
Profitant de l’opacité du droit foncier des pays du Sud, les investisseurs sont très largement avantagés lors de ces transactions, qu’il s’agisse d’une vente ou d’une location. « Et les intermédiaires, eux, empochent une commission pouvant aller jusqu’à 50% du prix de la vente du terrain ! » poursuit Nestor Mahinou.



Le manque de devises et d’infrastructures agricoles modernes pousse les responsables politiques à faciliter l’entrée des multinationales étrangères. Une situation très grave qui préoccupe nombre d’associations locales et ONG internationales qui militent, en premier lieu, pour la modification des systèmes fonciers traditionnels. Car si aucune décision n’est prise afin de réguler la situation, cette course effrénée vers les terres arables risque de se transformer en catastrophe humaine.
 

Une enquête d'Alexandra Renard, Melissa Bell et Mounia Ben Aïssa.
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+ vidéo à cette adresse:
http://www.france24.com/fr/20091224-comp-tition-conomique-vers-agro-guerres-demain 

mercredi 20 avril 2011

McDo se surpasse dans l’écotartufferie


Par SuperNo

J’ai (re)commencé à parler de décroissance, et je prépare un (très) long billet pour tenter d’expliquer où en sont les organisations politiques qui s’en réclament, quelles sont leurs idées, et comment elles comptent les mettre en œuvre. En attendant, la précampagne présidentielle est déjà lancée, et cette semaine a vu la déclaration hypermédiatisée de la candidature de Nicolas Bertrand Hulot, déjà quasiment assuré de représenter les Verts, et qui va devoir s’employer à faire oublier son lourd passé d’hélicologiste sponsorisé par les multinationales, et notamment par l’industrie nucléaire. C’est pas gagné.

Si, dans un effort surhumain pour positiver, on ne doit retenir qu’une seule chose de cette nouvelle, c’est que "l’écologie" en général ne sera peut-être pas totalement absente du débat présidentiel. Bien sûr on va nous abreuver de rodomontades au sujet de la "sécurité" ou de la "laïcité", des habituelles promesses de Gascons sur l’"emploi" et le "pouvoir d’achat", tentatives pitoyables pour dissimuler leur seul but : jouer les importants, faire dans leur culotte en se faisant appeler "monsieur le ministre", se vautrer pendant 5 ans dans les douillets fauteuils des ministères, avec huissiers en livrée, chauffeur et grosse bagnole qui fait pin-pom et grille les feux rouges. Tout ça pour faire une politique d’oppression populaire, sur fond de "diminution des déficits", avec le carcan des lois ultralibérales de la Commission Européenne et l’épée de Damoclès des diktats des agences de notation.

L’écologie, dans ce contexte, est fréquemment utilisée comme manœuvre dilatoire, comme le foutage de gueule du "Grenelle de l’environnement" l’a si bien démontré. Quand on a des choses à se faire pardonner, on peut parler d’écologie. Ou du moins faire semblant. Attention, il s’agit de "l’écologie light", celle qui met en exergue la nature et les petits oiseaux, mais qui s’interdit totalement de remettre en cause de quelque manière que ce soit le système économique en place et en particulier son dogme de la croissance, que l’on consent tout juste à repeindre en vert. Jamais un de ces tartuffes ne fait le rapprochement entre l’effondrement généralisé du monde, et l’économie libérale de la "croissance infinie".

Un ami lyonnais m’a rapporté cette anecdocte édifiante : dans les "restaurantsMcDo, du moins celui de Lyon Bellecour, mais c’est probalement généralisé, la "déco" a été totalement refaite, et elle est désormais tout à la gloire de "l’écologie" et du "développement durable". Si, si. Je n’ai pas eu le courage de pousser la conscience professionnelle jusqu’à vérifier moins-même (j’ai récemment trouvé l’argument définitif pour dissuader mes enfants de se rendre dans ces lieux de perdition, depuis qu’un pauvre gamin est mort d’une intoxication dans un fast food (c’était pas un McDo, c’était un Quick, mais le système est exactement le même), quand ils me sollicitent pour "aller au McDo", je leur réponds : tu veux mourir à ton âge ?) J’ai néanmoins sollicité la contre-expertise d’un autre témoin indépendant qui m’a confirmé en tout point l’exactitude de la chose. Les murs sont peints d’histoires qui parlent d’effet de serre, de réchauffement climatique, et tout à la gloire des efforts de McDo dans le domaine du "développement durable". Ceux-là même qui avaient été reconnus et vantés par "Dominique Voynet", jadis ministre "écolo" totalement impuissante et vouée à jouer les faire-valoir et accompagner la marche terrifiante de l’économie capitaliste : "McDonald’s est légitime pour parler environnement à ses clients", avait-elle décrété en 2007. En retour bien mérité, Voynet s’était fait pourrir par nombre de ses camarades de parti (qui ne sont pas tous stupides, loin de là) et par le journal "La Décroissance", qui l’avait représentée sous les traits du clown de McDo.

Mais le pire, dans ce fameux McDo, ce sont des écrans LCD sur tous les murs ! Place Bellecour, à Lyon, ils diffusent les messages suivants : 

"La terre appartient à nos enfants" (Les pauvres, bonjour la tronche de l’héritage) "6 milliards d’hommes, une seule planète" (Et 33 000 McDo, 24 milliards de dollars de chiffre d’affaires dont 4.9 milliards de dollars de bénéfices) "Nos enfants nous regardent" (Et c’est pas beau à voir) "Protégeons les forêts" (Et c’est un des plus gros pilleurs de la planète qui vous le dit !) "La nature pour projet" (Non non, le vrai projet, ce sont les bénéfices, d’ailleurs les actionnaires sont un peu déçus des derniers résultats ) "Le défi de l’énergie" (Sur un écran LCD, il fallait oser…) "Plus de respect, moins de CO²" (et plus de foutage de gueule)

Chacun de ces écrans doit consommer tranquillement ses 3kWh/jour, et en fonction des pays et de l’origine de l’électricité, cela fait tourner les centrales au gaz ou au charbon (bonjour le CO²) ou alors les centrales nucléaires, dont n’importe qui sait désormais que c’est encore pire. Evidemment, McDo n’est pas le seul, puisque ces saloperies d’écrans, majoritairement employés pour faire de la pub (dont on voit clairement combien l’interdiction serait une bouffée d’air pour la planète), fleurissent aussi dans le métro, les commerces, les cinémas, et même la voie publique, pied de nez insupportable à l’écologie (la vraie). Ajoutons à cela que McDo commence, comme la SNCF, comme les péages d’autoroute, comme les hypermarchés, comme les cinémas, à remplacer les humains par des machines, avec la généralisation des caisses automatiques.

Cette histoire ridicule pourrait faire sourire. Elle est en fait très instructive et pédagogique pour faire comprendre ce que sont réellement l’écologie et la décroissance, et pour apprendre aux naïfs et aux débutants à démasquer les tartuffes. Dans ce que Sarkozy, NKM ou Hulot appellent "écologie", McDo a probablement sa place. Il lui suffit d’afficher quelques bonnes intentions, de servir des salades, peut-être même des trucs bio (toujours pour l’image, mais celui qui va chez McDo pour manger bio devrait d’urgence consulter un psy !), sous les applaudissements lourdement sollicités. Alors qu’en fait, McDo est un des symptômes les plus emblématiques de notre société capitaliste, vouée à la croissance. C’est simple, dans un monde normal, McDo n’existerait pas. On mangerait en prenant son temps (le temps de discuter, par exemple), des aliments sains, locaux, non transformés, qui n’engraisseraient pas les actionnaires de multinationales, dans un endroit sans pub et sans écrans LCD, loin des zones commerciales qui n’existeraient d’ailleurs pas non plus.

Ensevelir le monde entier sous une couche uniforme de la même merde standardisée, calibrée, calculée pour être fabriquée par gigatonnes, au coût le plus bas, dans un processus de fabrication infernal qui va de la déforestation aux OGM, en passant par les élevages concentrationnaires, l’agrochimie, et les abattoirs dantesques. S’appuyer sur des chanteurs à la mode ou des sportifs cupides pour généraliser une espèce d’idéologie mondialisée, ramollir les cerveaux, les conditionner pour mieux les exploiter. Et si on revient à des considérations terre à terre, bouffer chezMcDo, c’est être abruti par la pub, se rendre dans une de ces infâmes zones commerciales qui défigurent tout, faire la queue debout pendant un moment déraisonnable et dans un brouhaha insupportable, commander des trucs avec des noms anglosaxons parfaitement grotesques, être servi par des néo-esclaves précaires qui sont obligés de faire semblant de sourire mais qui se voudraient ailleurs (ce que Naomi Klein appelle les McJobs, qui préparent les jeunes à se résigner à n’avoir qu’un métier de merde sous-payé pour le restant de leur jour, et de s’en estimer heureux), bouffer avec les doigts et machouiller des trucs infâmes, des aberrations diététiques, grasses, sucrées, totalement insipides, en un quart d’heure (ben oui, après il faut se dépêcher pour aller faire les courses au supermarché), le tout pour un prix supérieur à celui d’un honnête plat du jour dans n’importe quelle bonne gargotte. La belle vie, quoi.

C’est contre cette délisquescence totale de la manière de se nourrir et plus généralement de vivre qu’est né le collectif "Slow food" . McDo écolo parce qu’il recycle quelques emballages, ça me fait un peu penser à Dutroux qui ferait un don à une fondation pour l’enfance maltraitée. Sauf que Dutroux, lui, il ne le fait pas, il trouverait ça trop gros…

vendredi 15 avril 2011

Ça cloche à la cantoche


Ça devait être du gâteau. Le 13 juillet dernier, les parlementaires ont voté une loi pour en finir avec la malbouffe à la cantine. Objectif : lutter contre l’épidémie d’obésité qui sévit dans les cours de récré. Plus de 14 % des écoliers affichent un excès de poids sur la balance.

Au menu : moins de sucre dans les desserts, plus de vrais fromages et moins de spécialités fromagères à tartiner, plus de légumes, de fruits, moins de poissons panés… Pas de quoi s’emballer. Il s’agissait juste de rendre obligatoire une vieille circulaire de 2001 sur la composition des repas en restaurant scolaire. 
Un texte sur lequel s’assoient la moitié des cantines, dixit l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation.

En 2007, l’Anses, qu’on appelait alors l’Afssa, a mis les pieds dans le plat en révélant dans un audit que 11 % des cantines scolaires n’avaient carrément jamais entendu parler de la circulaire ! Dans certaines cantoches, on vous fabrique un repas avec 90 centimes d’euros, quand de l’avis de tous les experts, il faut y mettre au minimum 1 euro pour éviter que les nutritionnistes tombent dans les pommes en voyant le contenu des assiettes.

Pourtant il aura suffi qu’une obscure Commission Consultative d’Évaluation des Normes émette un avis défavorable pour que la loi du 13 juillet soit privée de décret, donc inapplicable, et que la vieille circulaire de 2001 reste lettre morte. Composée d’une cinquantaine de membres, la CCEN, qui dépend du ministère de l’Intérieur, a jugé que la mesure allait coûter chérot aux collectivités locales et qu’elle n’était donc pas « strictement nécessaire ».

Sauf que, comme l’avait calculé l’Inserm, le surcoût pour le contribuable d’un repas équilibré à l’école, c’est peanuts (moins de 1 %). De là à imaginer que les élus se sont faits bourrer le mou par les poids lourds de la restauration scolaire…

Le plus savoureux est que la mesure qui vient d’être renvoyée en cuisine était, parmi les 80 et quelques propositions du rapport anti obésité de la député UMP Valérie Boyer, la seule qui ne s’était pas fait sucrer. Autant dire que les 6 millions d’élèves qui vont à la cantoche mangeront équilibré… le jour où les poules (de batterie) auront des dents.
Le Canard Enchaîné N° 4720 du 13 avril 2011