vendredi 16 septembre 2011

«LES SPÉCULATEURS N’ONT RIEN À FAIRE DE LA FAMINE»

NICOLAS DUNTZE. Ce responsable de la Confédération paysanne se penche sur la conférence internationale organisée lundi et mardi à Montpellier par le G20 sur la sécurité alimentaire.

La présidence française du G20 accueille aujourd’hui à Montpellier une conférence internationale sur la recherche agricole pour le développement pour promouvoir les partenariats scientifiques au service de la sécurité alimentaire dans le monde. Nicolas Duntze, Gardois membre de la Confédération paysanne, nous dit pourquoi il ne se fait guère d’illusion sur les conséquence de cette réunion à l’heure de la famine en Afrique.

Cette réunion du G20 à Montpellier, centrée sur la recherche, est-elle, selon vous, porteuse d’espoir ?

« La seule chose qui améliorerait la situation serait de créer un rapport de force afin que la nécessité d’une recherche participative soit prise en compte. Ce qui veut dire : tenir compte de l’avis des syndicats de paysans, des associations de consommateurs… Le lieu où les chercheurs se réunissent sous l’égide du G20 n’est pas non plus un hasard. Montpellier possède un grand nombre de laboratoires, une certaine notoriété dans la recherche agronomique et sociologique agricole et les lobbies semenciers et agro-industriels, toujours à la recherche de brevets, sont intéressés par les modifications génétiques autour du blé. On va donc essayer d’aller interpeller les participants pour leur dire qu’ils sont sous surveillance. Notre revendication c’est : « Arrêtez de chercher sous la bulle financière ».

Vous pensez que la recherche est sous la coupe de ces lobbies industriels ?

Ce sont eux qui financent le plus la recherche dans ces domaines, dans le but de revendre les semences et d’en faire des royalties. On va leur rappeler qu’il ne faut pas toucher aux savoir-faire ancestraux des paysans qui ont su nourrir la planète jusqu’ici.

Justement le thème du G20 en pleine famine dans la corne de l’Afrique est la sécurité alimentaire. Pourquoi y’a-t-il encore des millions de gens qui souffrent de la faim ?

Cela n’a rien à voir avec les savoirs ancestraux des paysans. Si l’on prend l’exemple français, après la guerre, il y a eu d’énormes difficultés à assumer la sécurité alimentaire de la population en terme d’approvisionnement. Cela a généré des politiques agricoles intensives et productivistes. Mais la marche en avant productiviste a continué ensuite. A la sortie de la guerre il y avait 3 millions de paysans en France, il n’y en a plus que 400 000 aujourd’hui. C’est la même politique au niveau international. La création des stocks, les primes à l’export… ont tué toutes les agricultures paysannes locales. Un produit subventionné par l’Europe arrive moins cher en Afrique que ce qu’il coûte au producteur local. Au prétexte de la sécurité alimentaire des pays riches, on a mis sous dépendance des millions de personnes, parce qu’on leur a enlevé la possibilité économique de produire.

Le productivisme est le principal responsable selon vous des famines actuelles ?

Elles interviennent deux ou trois ans après les émeutes de la faim dont la raison était la spéculation sur les matières premières. Les spéculateurs se moquent de savoir que des millions de personnes, dont la plupart sont issues du milieu paysan, crèvent de faim. C’est vrai qu’il y a la sécheresse, un climat social et politique délétère dans certains pays d’Afrique, mais il faut se poser la question d’à qui profite le crime. Sous la contrainte budgétaire du FMI et sous prétexte de régler leur dette, on a dit aux pays africains d’arrêter de produire du millet ou du maïs et de faire des fleurs ou des haricots qu’ils exportent. Ils ont ainsi abandonné les productions locales qui leur donnaient leur nourriture de base.

Mais que faire pour les aider ?

On se souvient des fameux sacs de riz de Kouchner. On ne sait pas toujours où va l’aide. On va donner son chariot ou dix euros qu’on aura économisés parce qu’on aura vu des images intolérables. Mais s’il faut évidemment envoyer des sacs de riz, il faut aussi poser les vrais problèmes pour changer la donne. Et il faut se poser la question de la responsabilité de nos pays gros consommateurs d’énergie dans les raisons climatiques de la crise.

A la confédération paysanne vous parlez de souveraineté alimentaire.

Oui et elle tarde à être inscrite dans le droit international. Parce que c’est un droit des peuples de décider des moyens de production et de l’accès à ces moyens de production. C’est un droit de ne pas être victime des échanges internationaux. La question se pose aussi dans la vieille Europe avec la disparition programmée de tous les petits paysans qu’ils soient français, polonais ou roumains parce qu’il faut faire la place à l’agriculture telle qu’elle se pratique à Almeria en Espagne ou dans les Pouilles en Italie, ou dans d’autres régions de France où l’on fait par exemple des élevages de porc de plus en plus grands.

Vous ne croyez pas non plus dans les chercheurs ?

Il y a énormément d’agronomes talentueux mais le problème principal c’est que le marché détermine le prix d’un produit au détriment de l’avis et de la vie des populations locales. Tous ces migrants qui arrivent dans le sud de l’Italie ou de l’Espagne viennent pour la plupart des milieux ruraux subsahariens. Souvent, des villages entiers ont dû s’endetter pour qu’ils puissent rejoindre le fameux eldorado que sont censés être nos pays.

Vous ne vous faites donc aucune illusion sur le G20 ?

Il est en capacité de dire qu’il faut qu’on améliore un peu les choses mais il y a toujours cette fuite en avant permanente qui nous a déjà amenés dans le mur et qui produira des explosions. A la confédération, nous pensons que ce n’est pas avec l’outil qui a détruit la planète et les acteurs de cette destruction qu’on va pouvoir reconstruire des agricultures capables de nourrir les populations de proximité. »

RECUEILLI PAR ANNIE MENRAS



Source:
http://www.lamarseillaise.fr/herault/les-speculateurs-n-ont-rien-a-faire-de-la-famine-24189.html