dimanche 25 décembre 2011

Victoire pour les paysans chinois insurgés de Wukan



Manifestation paysanne à Wukan (Via Weibo)

Après dix jours de siège et de révolte, les villageois de Wukan, un vilage de la province du Guangdong (Sud), sont parvenus à un accord avec les autorités et démontent, pour l'instant, leurs barricades. Un compromis après l'une des révoltes paysannes les plus spectaculaires que la Chine ait connues récemment.
A Wukan, les barricades n'encombrent donc plus les routes. Mercredi, les villageois et le vice-secrétaire du PCC du Guangdong sont parvenus à un accord. « Un début de victoire » a déclaré prudemment Lin Zuluan, représentant des habitants de Wukan.
Ce village du Guangdong, en rébellion ouverte contre le gouvernement local, tenait depuis dix jours un véritable siège. A l'origine de cette sédition, une colère soutenue contre l'expropriation des terres, sujet de discorde récurrent en Chine.

Gouvernements locaux et promoteurs immobiliers

« Le problème prend sa source dans la gestion de la fiscalité locale des provinces chinoises, et un souci de répartition du budget » estime Jean-François Huchet, ex-directeur du Centre d'étude français sur la Chine contemporaine à Hong Kong, et enseignant à l'INALCO.
« La réforme fiscale de la fin des années 90 a certes décentralisé des fonds vers les régions. Mais la question du budget des circonscriptions internes aux provinces n'a jamais été réglée. »
Manquant de ressources, les gouvernement locaux tirent aujourd'hui l'essentiel de leurs revenus de la vente de terrains à des promoteurs immobiliers. Ceux-ci obtiennent à bas prix l'emplacement de futures usines ou complexes hôteliers, le gouvernement local renfloue son budget et certains fonctionnaires amassent les pots de vin.
Seuls oubliés de la transaction, les paysans qui perdent leur outil de travail. Or la compensation reçue en échange n'est jamais importante.
A Wukan, la vente de 275 hectares aurait ainsi rapporté 700 millions de yuans aux autorités (environ 85 millions d'euros), selon le magazine chinois Caixin. La somme reçue par chaque paysan ne dépasserait pas en revanche les 550 yuans (66€).
Les habitants du village du Guangdong ont protesté tout l'automne contre ce qu'ils considèrent comme une exaction de fonctionnaires corrompus. Ces manifestations réprimées avec violence se sont soldées par l'arrestation des organisateurs.
Un scénario classique en Chine mais qui prend à Wukan un tour inattendu suite à la mort en détention du manifestant Xue Jinbo.
Dimanche 11 décembre, des manifestants expulsent les dirigeants locaux et barricadent les routes tandis que les forces de police encerclent le village. C'est le début d'un siège qui durera dix jours et durant lequel les villageois multiplient les rassemblements, tout en renforçant leurs revendications.


Le siège déserté du parti communiste à Wukan (Malcolm Moore/Twitter)

« J'ai 31 ans mais je n'ai jamais pu voter »

Si la question des terres reste primordiale, les habitants de Wukan remettent désormais en cause la légitimité même de leurs dirigeants.
« J'ai 31 ans, mais je n'ai jamais pu voter » déclare un villageois au journaliste de McClatchy.
Il n'est pas le seul. Wukan n'a pas connu d'élection depuis 40 ans, le Secrétaire du PCC local ne désirant pas céder sa place. Une situation « anormale » à laquelle les assiégés remédient en organisant eux-même l'élection qu'ils réclament.
Pour Jean-François Huchet :
« Pour la première fois, des villageois ont pris leur destin en main et élu leurs représentants, en dehors de tout cadre officiel. C'est cela qui fait toute l'originalité des évènements de Wukan.
Le processus a échappé au Parti. »

Ne pas faire de martyrs

Assiégé mais pas isolé, le village a accueilli plusieurs journalistes étrangers passés au travers des barrages policiers.
La presse occidentale a suivi attentivement le cours des évènements et sur Weibo, le twitter chinois, les internautes contournaient la censure pour faire circuler photos et commentaires.
Le week-end dernier, la police de Canton a interrompu une manifestation de soutien aux villageois, tandis qu'un rassemblement similaire se tenait à Hong Kong.
Quand les villageois annoncent qu'ils marcheront sur le centre administratif de Lufeng si les autorités ne cèdent pas à leurs revendications, il semble être temps de réagir.
Cette manifestation qui confronterait le cortège aux forces de police toujours massées autour du village pouvait dégénérer. Et en cette période sensible, faire des habitants de Wukan des martyrs ne semble pas une option. Il fallait désamorcer le conflit.
Plus de marche, plus de barricades. Lors de la rencontre de mercredi matin, le vice-secrétaire du Parti communiste de la province du Guangdong, Zhu Mingguo, a promis la libération des trois organisateurs des manifestations de l'automne, le retour du corps de Xue Jinbo dans sa famille, ainsi qu'une enquête approfondie sur les circonstances de sa mort.
Par ailleurs, les représentants des villageois ne devraient pas être poursuivis pour « incitation à la révolte ».
Le vice-secrétaire a repris la route. Dans la ville de Haimen, à 120 km de là,des manifestations contre une centrale thermique ont dégénéré et le gouvernement du Guangdong a d'autres préoccupations.
Mais la hache de guerre est-elle réellement enterrée à Wukan ? D'après le Daily Telegraph, les villageois sont divisés.
Si certains accueillent avec soulagement la fin des hostilités, d'autres restent méfiants. Malgré la promesse qu'une enquête sera menée au sujet des expropriations, aucune garantie de restitution n'a été donnée.
Quant aux représentants élus durant le siège, leur porte-parole Lin Zuluan est formel. Tant que la question des terres n'est pas résolue et de nouvelles élections organisées, ils resteront en place.