mardi 26 juillet 2011

Ultime avertissement

mardi 26 juillet 2011

La situation de famine déclarée qui touche l'ensemble de la Corne de l'Afrique, et plus particulièrement la Somalie ravagée par la guerre civile, n'est pas simplement une catastrophe humanitaire de plus, après celles du Soudan en 1998, de l'Éthiopie en 2001 et du Niger en 2005. Elle constitue comme un ultime avertissement, préfiguration de ce qui menace le monde dans les décennies à venir.

Il serait irresponsable de se voiler la face : les changements climatiques sont devenus des enjeux de sécurité et bouleversent la géopolitique mondiale. Que deviendra demain le « Croissant Fertile », lorsque cette région verra ses ressources en eau s'assécher ? Et la fonte des eaux de l'Himalaya risque de devenir une cause de tensions majeures entre la Chine et l'Inde. L'eau est une des clés de la sécurité alimentaire. Son absence peut conduire à des mouvements de populations d'une ampleur inégalée dans les temps modernes.
On pourrait ainsi multiplier les scénarios catastrophes liés à la raréfaction des ressources naturelles dans une planète qui devrait connaître une forte poussée démographique dans les quarante prochaines années. Ne devrions-nous pas être un peu plus de neuf milliards d'habitants en 2050 ? Deux milliards de plus en l'espace de deux générations. Le continent africain, le plus vulnérable de tous, sera aussi celui qui devrait connaître la croissance la plus forte, passant, en l'espace d'un siècle, de 180 millions d'habitants en 1950 à 1,8 milliard en 2050.
Que faire ? Les réflexes malthusiens ¯ traduisant la peur, le repli sur soi, la fermeture des frontières ¯ ne sont ni réalistes politiquement et économiquement ni acceptables éthiquement. Des leçons s'imposent, et vite.
Hier, une formule traditionnelle dominait la réflexion géopolitique : « Si tu veux la paix, prépare la guerre. » Aujourd'hui, ne devrait-on pas dire : « Si tu veux la sécurité, économise les ressources de la planète » ?
Nous sommes conjointement responsables. Au péché d'indifférence, à l'origine du drame actuel de la Corne de l'Afrique, il convient d'ajouter le péché de gaspillage. Comment dire clairement, pédagogiquement et de manière responsable, que l'heure de l'énergie bon marché est terminée et qu'il est nécessaire de transformer nos modes de vie, de chauffage et de transport, et en particulier nos modes de consommation alimentaire. La planète peut nourrir et chauffer plus de neuf milliards d'habitants, mais ne peut le faire que de manière différente. Les villes ne peuvent s'étendre indéfiniment au détriment des terres agricoles. Les Chinois ne peuvent rêver de consommer autant de viande aujourd'hui que nous ne le faisions hier.
Ces considérations sont d'autant plus importantes que la société internationale traverse une période de transition particulièrement délicate. Nous sommes, par étapes, en train d'entrer dans un monde post-occidental. Ceux qui étaient « responsables » hier n'ont plus les moyens, ni sans doute la volonté de leurs ambitions. Et les puissances émergentes, derrière des pays comme la Chine, l'Inde et le Brésil, sont encore en déni de responsabilité. La Banque mondiale vient de dégager près de 500 millions de dollars pour agir contre la famine dans la Corne de l'Afrique. Elle reconnaît bien tardivement qu'une « approche transversale intégrant la sécurité alimentaire, la pauvreté et le changement climatique est nécessaire ».
Cette situation nous rappelle de la manière la plus dramatique que le changement climatique est devenu un enjeu géopolitique majeur.
Dominique Moïsi