dimanche 17 juillet 2011

L’abricot, une gourmandise gâchée par la grande distribution


Samedi 16 Juillet 2011, Par Claude-Marie Vadrot

Chronique « jardins » du week-end. Fruits et légumes peuvent-ils aussi être un objet historique et politique ? Retour, pour ce septième épisode de fin de semaine, sur l’histoire de l’abricot.
Depuis quelques semaines, les autorités françaises assurent veiller aux frontières pour vérifier que les abricots ne soient pas bactériologiquement ou chimiquement pollués. Il faut bien faire plaisir à la FNSEA et détourner les agriculteurs de la colère dirigée contre les grandes surfaces qui exploitent autant les Espagnols que les Français. Mais à la frontière, espagnole ou autre, comme à l’intérieur du pays, nul ne vérifie si les abricots sont « mangeables ». Car ces abricots sont la plupart du temps dégueulasses : durs, cotonneux, sans jus et sans goût. Car non seulement les vergers sont irrigués à l’excès, mais en plus les fruits sont cueillis avant d’être mûrs pour pouvoir supporter des transports de plusieurs centaines voire milliers de kilomètres. De quoi détourner du fameux et ridicule slogan « Cinq fruits ou légumes par jour  ». Alors que c’est si bon un abricot quand ce fruit, venu d’Asie centrale, est cultivé normalement et consommé localement.

Les meilleurs, je les ai cueillis sur des abricotiers sauvages des vallées basses de Kirghizie, ce pays d’Asie centrale où s’ébattent depuis des millénaires d’immenses troupeaux de chevaux pratiquement sauvages, conduits par des bergers se nourrissant pendant leurs transhumances de ces petits fruits délicieux et de lait de jument fermenté. Dans ces vergers naturels, les abricots jaunes veinés de rouge sont pratiquement ronds, jamais fibreux et surtout contiennent, comme une prune, un jus abondant et parfumé.

Dans cette région d’ailleurs poussent partout des pruniers sauvages qui offrent des délices [1]. Ce Prunus armeniaca vulgaris, que l’on retrouve au Tadjikistan et dans tout le nord de la Chine, pratiquement jusqu’à Pékin, est probablement l’ancêtre de toutes les variétés d’abricots ; y compris l’abricotier de Sibérie, Prunus sibirica, qui donne des fruits minuscules à ne manger qu’après cuisson. En Mongolie, les nomades font sécher le délicieux Prunus manshurica au vent et au soleil des hauts plateaux ; son arbre résiste à des froids de -40 à -50 ° : l’abricotier n’est pas seulement un fruitier des régions chaudes. Son nom latin évoque l’Arménie car les naturalistes ont longtemps pensé qu’il avait surgit dans le Caucase.

En fait, l’abricotier y a été importé par les premières vagues mongoles où il a retrouvé un état sauvage. C’est en Chine que sa culture paraît être la plus ancienne, au moins deux mille ans avant J.C. Peu à peu, différents groupes d’envahisseurs l’ont rapproché de l’Europe où il serait arrivé juste avant le début de l’ère chrétienne puisque Pline l’Ancien, dans son Histoire naturelle, l’évoque longuement sous le nom de Malum praecocium ; allusion à sa floraison très précoce (pour ceux qui, comme moi, n’ont pas pris l’option latin au bac...).

Qui n’a jamais cueilli un abricot sur l’arbre ne connaît pas son goût : les naturalistes et les chercheurs de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) s’accordent pour dire que ce fruit n’acquiert toutes ses qualités que cueilli, ou même ramassé lorsqu’il se détache lui-même de l’arbre, parfaitement mur. Ensuite, il ne mûrit plus du tout et ceux qui nous parviennent sur les marchés, malgré leur « belle » couleur orangée soigneusement travaillée par les obtenteurs industriels, sont souvent durs comme des pierres. Pour découvrir ou redécouvrir ce fruit, il faut le cultiver dans son jardin ou même sur son balcon. Quitte à le semer, ce qui donne en général d’excellents résultats gustatifs ; il est possible aussi, cet été, de le greffer sur un prunier : l’abricotier est plus facile à apprivoiser que l’affirme sa réputation.

À 140 kilomètres de Paris, à la limite du Gâtinais et du Berry, je m’essaie à la culture de l’abricotier depuis le début des années 1980. Avec des résultats qui n’étaient franchement pas brillants. Les choses ont commencé à changer il y a une dizaine d’années, pour au moins trois raisons. D’abord, il existe désormais à nouveau dans le commerce des variétés adaptées aux régions fraîches, comme le « Bergeron », le « Luizet », le « Rouge des Mauves », celui dit de « Meudon » ou le « Muscat ». D’après les anciens traités de jardinage, le « Royal » (très sucré) a été inventé au début du XIXe siècle au Jardin du Luxembourg. Ensuite, j’ai choisi de palisser des abricotiers le long d’un mur tourné vers le sud-ouest : mur qui protège des vents froids du printemps et accumule la chaleur diurne pour la restituer dans la nuit et au petit matin, au moment où la température s’abaisse. Enfin, il est clair que l’évolution globale du climat protège la fleur sensible au gel. L’augmentation des températures moyennes printanières, même légère, favorise ce fruit. Le temps n’est plus ou l’abricotier de région parisienne ne donnait des fruits que tous les quatre ou cinq ans.

L’abricotier, malgré toutes les améliorations dont il a été l’objet, n’aime que les terres plutôt légères (sauf le Myrobolan), déteste les vents, froids ou chauds, et supporte mal les tailles, comme d’ailleurs la plupart des arbres fruitiers à noyau. Sauf lorsque des branches meurent sous un excès de gomme, ce qui est fréquent. Par contre, pour les variétés utilisées en France, il peut supporter des gels hivernaux de -20°. Il faut le planter dès l’automne dans un endroit abrité, l’arroser abondamment, le laisser vivre sa vie en le protégeant, à la chute des feuilles et avant la floraison, avec de la bouillie bordelaise. Mise en place automnale aussi dans le cas où l’on souhaite installer une variété naine (le Luizet par exemple), sur un balcon ou sur une terrasse. Un pot d’une quarantaine de centimètres, avec une terre régulièrement complétée en corne broyée, est nécessaire. Bien sûr, la récolté ne sera pas, sauf exception, extraordinaire, mais permettra de retrouver le véritable goût de l’abricot.
Une révélation inoubliable pour oublier les cochonneries vendues en supermarché. Souvent les mêmes, du reste, que certains « faux producteurs » tentent d’écouler le long des routes des vacances...

Photo : Mychèle Daniau / AFP

Notes

[1] Testés la semaine dernière par la rédaction de Politis avant les tomates cerises fort goûteuses.

Source: http://www.politis.fr/L-abricot-une-gourmandise-gachee,14878.html