samedi 2 juillet 2011

Le coquelicot : réfugié de Monsanto au jardin

Lu dans Politis:


Samedi 2 Juillet 2011, Par Claude-Marie Vadrot

Chronique « jardins » du week-end. Fruits et légumes peuvent-ils aussi être un objet historique et politique ? Retour, pour ce cinquième épisode de fin de semaine, sur l’histoire du coquelicot.
Le myosotis, et puis la rose
Ce sont des fleurs qui disent quelque chose
Mais pour aimer les coquelicots
Et n’aimer que ça... faut être idiot !
T’as peut-être raison, oui mais voilà :
Quand je t’aurai dit, tu comprendras....



Venu de la Mésopotamie, d’une région connue sous le nom de croissant fertile située autour des immenses marais de Bassora, là où certains situent le paradis, le Papaver rhoeas a suivi la progression des céréales cultivées vers l’Europe il y des milliers d’années. La mythologie grecque raconte que cette fleur fut inventée à cause de Perséphone, fille de Zeus et de Déméter, la déesse de l’agriculture dont le nom a, logiquement été récupéré par les adeptes de la culture biodynamique.

Perséphone, donc, ayant disparu parce que guignée par un autre affreux dieu, sa mère l’aurait retrouvée avant d’inventer le coquelicot pour la calmer. Et pour être certaine que cette fleur se retrouverait partout, elle ordonna qu’il pousse dans tous les champs de blé où elle pourrait se coucher. Pourquoi pas. Mais ma familiarité avec les dieux, anciens et nouveaux, étant fort limitée, je ne garantis rien. En revanche, il est certain que ce pavot, toujours présent sur les rives de l’Euphrate et du Tigre, a cheminé lentement vers l’Europe occidentale ainsi que quelques autres plantes messicoles, les plantes associées aux moissons, comme le bleuet. L’un et l’autre ont résisté jusqu’au XXe siècle.

« Ils éclatent dans le blé comme une armée de petits soldats ; mais d’un bien plus beau rouge, ils sont inoffensifs. Leur épée, c’est un épi. C’est le vent qui les fait courir, et chaque coquelicot s’attarde, quand il veut, au bord du sillon, avec le bleuet, sa payse ». En 1896, quand Jules Renard publie ses Histoires naturelles, les désherbants n’existent pas encore. Ces bleuets et ces coquelicots, ils les avaient admirés pendant son enfance nivernaise qui lui inspira son célèbre Poil de Carotte. Mais à Chitry-les-Mines, où sa maison d’enfance existe toujours, les coquelicots ne colorient plus les blés à l’époque des moissons.

Pourchassés par l’agriculture intensive et les soldats inconscients de Montanso, les derniers coquelicots se sont réfugiés sur des bords des routes et des autoroutes ou dans les friches. Quand aux bleuets, ils disparaissent inexorablement. Il nous reste pour imaginer leurs splendeurs mêlées, les extraordinaires peintures impressionnistes du XIXe siècle, comme celles de Claude Monet qui apercevait ce festival estival de fleurs champêtres depuis son jardin de Giverny. Il reste aussi de vieilles photos, des souvenirs et... nos jardins, au sein desquels on se plaît de plus en plus à recréer le naturel chassé. Et quand un champ de céréales passe au bio, la longue dormance de la graine leur permet une résurrection après des dizaines d’années de mauvais traitements.

L’histoire de la propagation des autres espèces de papaver est compliquée et mal connue ; les Arabes et les Chinois s’en disputant le premier usage et les premières cultures, qu’il s’agisse des espèces inoffensives et des espèces médicinales que les récits mélangent souvent, les botanistes voyageurs répugnant parfois à étaler leurs faiblesses et leurs expériences. Si les missionnaires jésuites qui tentèrent d’évangéliser la Chine dès le XVIIe siècle ne font pratiquement jamais mention de la culture du pavot, c’est peut-être parce que, les voies du Seigneur étant impénétrables, ils s’étaient laissés tenter...

Au XVIIe siècle le pavot, version exotique, servit à la mise au point d’un calmant pour dame dont on retrouve le nom dans tous les romans du XIXe : le laudanum. En Europe, ce pavot, versionPapaver orientalis aux fleurs roses, rouges ou blanches, dont on trouve des champs immenses en Europe orientale et en Russie centrale et les pays voisins, ne sert qu’à fournir des minuscules graines noires qui parfument le pain ou les pâtisseries. Seuls les Russes s’obstinent, en faisant de leurs graines un « Kompot », à en tirer une substance qui n’est maléfique que dans leur imagination et quand il est additionné de vodka.

Plus gros et plus grand que le coquelicot, vivace, ce pavot vit fort bien dans nos jardins, s’accommodant de toutes les terres. Il y a quelques jours, un pied superbe épanoui par le beau temps fit rêver de jeunes passants que je dû détromper... Même si cette espèce, les dessins en témoignent, figura en bonne place dans « les plantes magiques et sorcières » et les enluminures du manuscrit des « Grandes heures d’Anne de Bretagne » qui constitue sans doute le premier des traités de la cueillette des plantes et du jardinage. Dans le manuel des plantes cultivées publié en 1883 par Alphonse de Candolle, on trouve toutes les recettes sur l’art et la manière d’utiliser le coquelicot pour agrémenter la bouillie ou le biberon des enfants et calmer quelques maux bénins.

Au jardin, il est possible et surtout nécessaire de sauver le coquelicot en recueillant (en ce moment) les graines de ce réfugié agricole à protéger : il suffit de vider par les orifices du haut la capsule séchée qui succède à la fleur. Puis semer n’importe où dans le jardin ou sur un rebord de fenêtre : le bougre n’est pas regardant sur la qualité de la terre. Pas plus que le bleuet. On en retrouvera partout l’année suivante. De quoi en faire un condiment en grillant quelques instants les graines minuscules avec un peu de sel ou bien une tisane légèrement soporifique avec ses pétales.
Photo : C.-M. Vadrot