mardi 3 janvier 2012

Tribune de Geneviève Savigny du comité de coordination de Ecvc (Coordination européenne via campesina) : « Un nouveau cadre pour une Pac durable »

Terre-net Média a demandé à Geneviève Savigny, agricultrice et membre du comité de coordination de Ecvc, de présenter les propositions de son organisation pour la Pac de l’après 2013. Celles-ci s’articulent autour de la nécessité de sortir la politique agricole européenne du cadre de l’Omc, pour lui redonner l’objectif majeur de nourrir les populations locales. Une tribune extraite de Terre-net Magazine n°10.

"Demain, en 2012, la Politique agricole commune de l’Union européenne aura 50 ans. Il y a quelques années, on parlait de sa mise à la retraite anticipée, de sa réduction à une politique de développement rural, le "dieu marché" s’occupant de tout le reste.
Puis, des crises mondiales environnementales, financières, économiques et alimentaires ont ébranlé les dogmes néolibéraux, qui depuis 30 ans voulaient faire de l’alimentation une marchandise comme une autre. Alors qu’une nouvelle réforme de la Pac pour la période 2014-2020 est en cours de négociation, l’UE saura-t-elle être à la hauteur des enjeux de cette première moitié de 21ème siècle ?

Capable d'en produire

Comme le rappelle régulièrement le commissaire européen à l’Agriculture, Dacian Ciolos, la sécurité alimentaire des Européens n’est pas acquise. L’UE, élève le plus obéissant aux règles internationales actuelles du commerce (établies en 1994 avec la création de l’Organisation mondiale du commerce), est devenue le premier importateur de produits alimentaires au monde et, selon les années, le premier ou le deuxième exportateur.
Au lieu d’avoir comme principal dessein de nourrir les Européens, la politique agricole communautaire s’est mise au service de "l’agro-importation/exportation", dominée par quelques grandes firmes qui peuvent produire ou s’approvisionner là où c’est le plus profitable pour elles sur la planète. Ainsi, pour les protéines végétales (soja) destinées à l’alimentation animale, l’UE dépend à près de 80 % des importations. Pourtant, elle est tout à fait capable d’en produire. Le modèle agricole dominant n’a plus pour ambition première de nourrir la population locale, mais celle de fournir des matières premières à l’aval du secteur. De plus, ses effets négatifs sur l’environnement, le climat et la biodiversité sont aujourd’hui reconnus.

Un modèle destructeur

Les pouvoirs publics ont affirmé, aux paysans des années 60 et 70, qu’ils étaient trop nombreux et qu’une réduction de leur effectif permettrait que chacun ait une part plus importante du "gâteau". Résultat : des dizaines de millions de paysans ont dû quitter leur exploitation et ceux qui subsistent ont en moyenne un revenu inférieur au reste de la population. La très forte augmentation de productivité des agriculteurs a été entièrement volée par l’amont et l’aval.
Depuis 30 ans, des organisations paysannes, contestant ce modèle destructeur sur les plans social, environnemental et international, se sont regroupées en une coordination européenne ; ceci afin de proposer une autre politique agricole et alimentaire pour l’Europe.

Changer de priorités

Ecvc préconise donc de modifier le cadre de la Pac. En résumé, il faudrait que la politique agricole commune prenne en compte la souveraineté alimentaire plutôt que les règles de l’Omc. Ce qui revient à changer de priorités, c’est-à-dire à :
• ne plus produire d’abord pour le commerce international, mais pour nourrir les Européens et, en premier lieu, la population locale. La "relocalisation" de la production alimentaire est déjà en route (par exemple, en France, avec les Amap).
• réguler la production et les marchés pour que les prix agricoles européens soient stables, rémunèrent le travail paysan et couvrent les coûts de production. Cela suppose de faire évoluer les codes actuels du commerce international, en interdisant des exportations à des prix inférieurs aux coûts de production européens et en recourant, si nécessaire, aux droits de douane. Le revenu agricole doit provenir, prioritairement, de la vente des produits.
• mettre un terme à la disparition des exploitations agricoles en favorisant l’installation de nombreux jeunes, en développant une véritable politique structurelle qui stoppe la concentration des terres et leur urbanisation, en liant les soutiens à l’agriculture à l’actif agricole et non à l’hectare.
• promouvoir une agriculture paysanne, c’est-à-dire durable sur les plans social et environnemental, avec des modes de production économes en intrants et en énergie, qui renforcent la fertilité des sols. L’agroécologie est, dans cette optique, une approche à développer.

Souveraineté alimentaire

• réduire le pouvoir oligopolistique qu’exercent l’industrie agroalimentaire et la grande distribution sur les agriculteurs et les consommateurs, en raccourcissant les circuits alimentaires et en adaptant la réglementation sanitaire, aujourd’hui très industrielle, aux petites unités de transformation.
Cet été se sont retrouvées, en Autriche, lors du forum "Nyeleni Europe pour la souveraineté alimentaire" (pour en savoir plus : www.nyelenieurope.net) des centaines d’organisations de la société civile de 34 pays d’Europe. Un mouvement européen pour la souveraineté alimentaire est né. Il entend peser sur l’évolution de l’agriculture et de l’alimentation, autrement dit renforcer la voix des paysans européens dans les négociations à venir sur la Pac de l’après 2013. »
« Ecvc, qui sommes-nous ? »
La Coordination européenne via campesina (Ecvc) regroupe à Bruxelles, depuis juillet 2008, les organisations rassemblées auparavant dans la Coordination paysanne européenne, ainsi que d’autres organisations paysannes et de travailleurs agricoles du Danemark, de Suisse, de Grèce, de Turquie, d’Italie, des Pays-Bas, d’Espagne.
Ecvc prône « le développement d’une agriculture paysanne diverse, liée aux territoires », et une meilleure prise en compte de la souveraineté alimentaire au sein de la Politique agricole et alimentaire commune. Ainsi, celle-ci serait plus « juste, solidaire et durable » afin de « répondre aux enjeux de sécurité alimentaire, de santé publique et d’emploi dans le monde rural ». Elle permettrait « d’affronter la crise alimentaire globale et le réchauffement climatique ».
Site Internet : www.eurovia.org

Cet article est extrait de Terre-net Magazine n°10
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